EXTRAITS  Le Chevalier d'Éon (l'animal amphibie)

 

Geneviève d’Éon :

Je suis un homme va, rassure-toi ! (à sa veste, en montrant la robe sur lui)  Ça ? Tu le sais bien que cette  robe n’est rien, tu ne vas pas être jaloux ? !! C’est mon uniforme, ma tenue de travail, mon camouflage.  Je lui dois la vie et pas mal d’honneur à cette robe, tu le sais !  Et elle nous fait vivre aujourd’hui, tu devrais la remercier.

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Charles d’Éon :

J’accepte sans rechigner ma mission, et tant pis si on ne me comprend pas et tant pis si mon choix devra me faire subir les remarques désobligeantes et les surnoms ridicules d’une meute de frustrés... « L’Animal Amphibie », « La Pucelle de Tonnerre » et « L’Amazone du jour » vous salue bien Messieurs ! (il fait une révérence)    « L’Animal Amphibie ».  C’est Voltaire qui m’appelle comme cela ; c’est ridicule, pourtant Dieu sait que je l’admire lui !  Mais bon… On a tous des côtés désagréables ; moi j’en ai deux !


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Geneviève d’Éon :

Ne vous en déplaise, je suis moi, comme je suis… Je pourfends de ma lame les « on dit » comme j’embroche les langues de vipères… Je me nomme Charles Geneviève d’Éon de Beaumont pour vous servir.  Mes armes de dentelles et d’acier sont pour vous ; pour défendre vos causes Messeigneurs ou pour percer vos âmes. Que préférez-vous ?  De quel côté bat votre cœur ?


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Geneviève d’Éon :

Les soirées chez la Tsarine Elisabeth Pétrovna sont fastueuses.  Un personnel digne de la Grande Armée s’agite autour de nous. On se serait cru par moment sur un champ de bataille et à d’autres moments, aux ballets du Bolchoï Kamenny de Saint Pétersbourg … Un subtil mélange de virilité et de féminité ; je suis immédiatement chez moi !   Au mur, dans des cadres lourds, toute la famille Romanov nous toise : Pierre le Grand, Ivan IV le Terrible et tous les autres ; ils sont les garants de la splendeur de la Russie d’autrefois… Ils semblent regarder d’un œil inquiet leur héritière ; ils scrutent ce que cette femme fait de leur honneur !


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Beaumarchais :

- « Monsieur, les bruits courent jusqu’en France que vous êtes une femme. En vous regardant, j’avoue que j’ai moi-même des doutes !
Etes-vous une femme ? »

Charles d’Éon :

- « Monsieur Beaumarchais, on vous dit l’esprit vif et voilà que vous butez sur une question aussi simple !  Un modeste barbier saurait répondre !! »

 Beaumarchais :

- « La réponse est plus importante que la question, elle mérite réflexion ; ne pensez-vous pas mon ami ! »

Charles d’Éon :

- « Il y a-t-il un « E » à votre « ami », Monsieur ? Vous doutez ?  Je vous croyais pourtant homme de Lettres ! »

Beaumarchais :

- « C’est que votre alphabet est troublant Chevalier, et les accords de genres difficiles… »

Charles d’Éon :

- « Eh bien, Monsieur de Beaumarchais, dites-vous que je suis un être singulier pluriel féminin dont le masculin l’emporte ! »

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Charles d’Éon :

J’ai en moi le sentiment profond que mon paraître vivra au-delà de moi, au-delà de mon siècle !  Il sera un modèle pour les générations à venir.  Je me sens connecté au futur qui nous acceptera, moi et mes semblables comme nous sommes … Je suis lié à ces êtres lointains qui seront comme moi, libres et épanouis.  Parfois, la nuit, ils me parlent.  Mais ma tête est trop pleine de ces idées nouvelles ; elle craque de part en part et s’ouvre comme le livre du futur… Tout cela m’épuise.

Je porte sur le dos le poids d’un monde qui n’est pas le mien.     Je suis Atlas, fatigué de la lourdeur de ce futur !