EXTRAITS Monsieur

 

J'attends des femmes et des hommes qui croisent mon chemin, de la distinction, de la droiture ou d'avoir au minimum, au milieu du fatras de leurs cerveaux répugnants, l'once de pudeur morale qui justifierait que je les épargne !  Elisabeth était belle, raffinée, délicate, parfaite... J’étais fou d’amour pour elle…  Elle n’en a jamais rien su... Mais elle n’aurait pas voulu de moi de toute manière… Une fille de Lord ne remarque pas un majordome et un majordome ne courtise pas la fille d’un Lord, c’est inscrit dans son sang. (…) La qualité première d’un bon domestique est l’anticipation, l’art de savoir ce dont son maître aura besoin avant lui.

≈ ≈ ≈ ≈ ≈

Tout le monde devait s’habiller en noir, les femmes portaient des colliers de perles noires et les hommes des pics à lavallières assortis.  Seul le Baron était en blanc, dans sa tenue diamant qu’il appelait « Almas » du nom du caviar blanc du même nom. Ce jour-là, encore plus qu’à l’accoutumée, tout devait être irréprochable.  L’argenterie brillait, les meubles sentaient la cire, les parquets semblaient de verre...  Le moindre grain de poussière aurait pris l’allure de rocher dans un corridor.  Les miroirs, eux-mêmes, auraient changé en reflet gracieux le regard d’un borgne…  Les filles se pressaient pour être près du Baron, et sur son passage, le son sourd des colliers de perles des prétendantes couvrait la résonance de leurs pieds sur le parquet.

≈ ≈ ≈ ≈ ≈

Elisabeth était la petite-fille de Lord Garrison, veuf, et ancien colonel de l’armée Britannique. Il avait eu ses heures de gloire, ses médailles et sa raideur dans la jambe, lors de la bataille de Trafalgar. Elisabeth était attentionnée avec lui et lui servait d’appui ; sa canne ne servant qu’à faire des grands gestes qui rendaient ses exploits militaires plus visibles du fond de la salle de réception.

≈ ≈ ≈ ≈ ≈

Enfin, le jour arriva, le plan était au point. A un détail près, Elisabeth n’était pas venue seule. Une amie à elle, Mlle Élodie Johnson l’accompagnait.  Dommage pour elle… C’est amusant cette manière de faire des filles pas trop gâtées par la nature. Elles gravitent, comme des poissons-pilotes, autour de la belle fille qui les accepte dans son sillage.  Elles espèrent sans doute qu’un peu de l’éclat de beauté les atteindra.  Dans le cas présent, ça ne risquait pas. Mlle Johnson devait bien peser 200 livres et les seuls éclaboussures sur elle, c’était celles du repas de midi sur ses gros seins !

≈ ≈ ≈ ≈ ≈

Sa mort a été à l’image de sa vie, douce.  Elle n’a pas souffert, pas consciemment du moins.  Elle est partie dans un rêve de convulsion.  Son corps qui ondulait, et ses bras qui se levaient vers moi, semblaient être une invitation à l’enlacer. Quand je l’ai enfin prise dans mes bras, elle ne respirait plus, mais son corps encore chaud me troublait au plus profond de moi. Le souffle l’avait quittée, mais sous l’action du poison, ses muscles se contractaient ; elle me serra contre elle, comme personne ne m’avait serré jusque-là !  La mort me tendait les bras que la vie me refusait… De ce jour, j’ai préféré la mort !

≈ ≈ ≈ ≈ ≈

Je réfléchis donc à une manière élégante de faire passer à trépas mon maître Georges Beaufort...  Je me mis à rêver d’une mise en scène qui lui correspondrait…  Lui qui gavait le monde avec ses livres indigestes, je les lui ferai manger !  Cela rendra un double service : à son entourage et à la littérature.

≈ ≈ ≈ ≈ ≈

J'adore cette musique...Ce côté ordonné, mathématique, répétitif, me parle. Quand je tue, je range, je m'approche de la virginité divine. Et puis, c’est apaisant, vous ne trouvez pas ?  Purcell n’est pas un génie comme Mozart ou Bach, mais tout de même… Quelle grâce ! C’est propre, c’est froid. J’aime ça… Les notes sont bien classées. Ça me ressemble… Quand je tue, je range !